J'me suis rencontrée dans l'ascenseur.

Je me suis rencontrée dans l'ascenseur. J'revenais d'la buanderie.

L'endroit a beau sentir le printemps l'idée de faire ma lessive m'a toujours répugnée. 

J'ai pressé le bouton et j'ai attendu dans la chaleur du 2e. 

La porte s'est ouverte ...

Elle s'est ouverte et j'étais déjà là... mais plus petite, raccourcie d'un pied. 

J'me suis souris! Un sourire plein de compassion, de compréhension.

Mon regard ne pouvait se détourner de ma double image. 

Elle portait le collant beige et une paire d'espadrilles salie par la pluie.

Une jupette d'un rose éclatant, on a tous porté la même. Cette jupe-là ne trompe pas. Elle nous identifie, nous étiquette.

Et l'indispensable, un macaron près de l'épaule gauche. CPA. Club de Patinage Artistique. 

Embrasse la glace petite, saute, tombe et relève toi 100 fois. Tourne et saute encore.

Étire les bras. Lève la tête. Tiens toi droite et fait preuve de puissance, d'audace, de vitesse.

Attache tes cheveux vers l'arrière, souris aux hockeyeurs, un jour leur regard te manqueront.

Attache tes patins bien serrés, scelle les à tes pieds, ne les enlève jamais. 

Pratique tes arabesques dans le salon, dessine des programmes courts sur des bouts de papier, fréquente les boutiques de textile et imprègne toi de l'odeur de l'aréna. 

Fais ton jogging dans les estrades, vole les rouge à lèvres de ta mère, change fréquemment la couleur de tes protège-lames et demande une récompense le jour ou tu atterriras ton premier double saut. 

Fais des autres patineuses tes soeurs, tes jumelles. Inspire toi de la vitesse d'une et de la persévérance de l'autre. N'écoute pas toujours ton entraîneur, fais toi confiance tu es la seule à connaître tes limites. 

Découvre de nouveaux artistes, sois efficace dans tes choix musicaux, inscris toi a toutes les compétitions, 

fous toi des médailles et c'est là qu'elles viendront. 

Mets des années à atterir un saut, complique tes pirouettes pour le prochain test. 

Les juges sont cruels et payés par les mamans. Fais toi propre juge. 

Et surtout, n'abandonne jamais. 

Tu auras mal au dos, mal aux genoux et mal a l'orgueuil. Tu te décourageras, te demandera si tout ca vaut vraiment le coup, tu donneras des coups dans les bandes et lanceras tes gants dans les baies vitrées. 

Mais n'abandonne jamais. 

Je me suis rencontrée dans l'ascenseur. J'habitais au quatrième étage et j'avais les joues rosies par le froid.